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Pont-l’Abbé au fil de l’Histoire

 

Pont l’Abbé, capitale du Pays Bigouden, doit son nom au pont qui barre la ria et la sépare d’un étang qui vit ainsi au rythme des marées. Ce pont habité unit le quartier populaire de Lambour au cœur de la ville qui se développe rive droite autour du château des barons devenu avec la République, l’hôtel de ville.

Naissance d’un bourg castral

La période antérieure à l’an mil est mal connue. A une date indéterminée des ermites quittant l’une des îles de l’estuaire fondèrent sur la terre ferme, le monastère Saint Tudy. Les vastes terres de ce monastère s’étendaient depuis Loctudy jusqu’au fond de la ria où les moines auraient, semble-t-il, aménagé un passage (gué ou pont sommaire ?). Au 10ème siècle les Normands remontent la rivière, incendient le monastère et ravagent les terres.

Au 11ème siècle, dans tout le pays, des chefs de guerre se construisent des châteaux sommaires en bois et s’octroient la domination d’un territoire. Un de ces sires aurait ainsi construit une fortification dans le but de contrôler le passage de la rivière. C’est probablement au cours du 12ème siècle que les sires du château et les abbés de Loctudy édifièrent ensemble, sur la rivière, un vrai pont en pierres que deux moulins à marée vinrent plus tard compléter.

De cette fondation viendrait le nom de « pons abbatis » qui apparaît au début du 13ème siècle.

La capitale d’une puissante seigneurie

La seigneurie du Pont est au 13ème siècle un fief important du duché de Bretagne. Ses sires affichent leur orgueilleuse devise « Heb Ken » ou « Heb Chench » que l’on traduit un peu difficilement par « ni plus ni moins » « nous-mêmes » ou encore « sans varier ».

La vaste seigneurie se confond à peu près avec le pays appelé alors « Cap Caval ». Le château de bois a cédé la place à l’une des plus importantes forteresses de Basse Bretagne.  Au siècle suivant, Hervé III puis son fils Hervé IV et son épouse Péronelle de Rochefort font du bourg castral une active petite cité :

  • Création en 1350 de l’hôpital Saint Jean
  • Construction d’un premier quai
  • Création de la Chapelle Saint Tudy dans l’enceinte du château et surtout en 1383 fondation d’un monastère confié aux pères de l’Ordre des Carmes.

Au 15ème siècle, Bernard de Rosmadec, évêque de Quimper, dote le monastère d’un beau cloître gothique. L’Eglise est caractéristique des églises monastiques avec un seul bas-côté au nord, tandis qu’au sud le cloître vient s’adosser à la nef. Les Carmes constituent l’un des quatre Ordres Mendiants. Le prestige des religieux est tel que dons et legs affluent. Le couvent finit ainsi par devenir un important propriétaire foncier. La petite ville est la capitale de la seigneurie. Elle est un gros marché des produits des terroirs voisins. Pont l’Abbé ne peut cependant pas rivaliser avec Penmarc’h dont les caravelles transportent le vin de Bordeaux et le pastel dans les ports de l’Atlantique et de la mer du Nord.

Fin du 15ème siècle, la prospérité de Penmarc’h décline. En 1596 La Fontenelle, ancien chef ligueur reconverti dans le brigandage, pille et ravage le grand port. L’économie du Cap Caval ne se relèvera jamais totalement de la ruine de Penmarc’h. Le port de Pont L’Abbé, en revanche, connaît un certain développement fondé sur le commerce des grains. Ceci favorise la fortune d’une petite classe de négociants-armateurs qui rivalise dans la ville avec les gens de robe, juges, avocats notaires qui vivent de la fonction politique et judiciaire de la capitale de la baronnie. Ainsi en sera-t-il aux 17 et 18ème siècles.

Les heures sombres de la Baronnie

Le 15ème siècle est caractérisé par un affrontement entre les rois de France qui veulent construire un état moderne en faisant disparaître les grands fiefs et les ducs qui entendent préserver au maximum l’autonomie d’un état breton balbutiant. La victoire des armées royales à Saint Aubin du Cormier en 1488 scelle le sort du duché. Les seigneurs du Pont, comme beaucoup de membres de l’aristocratie bretonne combattaient dans le camp royal. Pour les récompenser de leur fidélité, Charles VIII officialise au profit de Jean II du Pont en 1493 le titre de Baron.

En 1526 la baronnie échut aux Quélennec, branche cadette de la maison du Pont. Au 16ème siècle, la Bretagne fut relativement préservée des guerres de religion car il y avait peu de protestants dans cette province. Pont l’Abbé constitue une exception. En effet le baron Charles du Quelennec, sous l’influence de sa mère, qui était une Rohan, s’est converti au protestantisme. Il chasse ses chapelains et installe dans la cité un pasteur, faisant de Pont L’Abbé la paroisse réformée la plus occidentale du royaume.

En 1572, son fils Charles du Quelennec, dit Soubise, fut le seul seigneur breton tué lors de la Saint-Barthélémy en tentant de secourir l’amiral De Coligny. Son jeune neveu Toussaint de Beaumanoir, huguenot lui aussi, hérite de la baronnie dans un contexte inquiétant.

En 1589 le Duc de Mercoeur, gouverneur de la province et fanatique ligueur, se révolte contre le roi. La Bretagne bascule à son tour dans la guerre civile, Beaumanoir combat aux côtés du roi. La noblesse du Cap Caval se divise entre ligueurs et fidèles du baron.

En 1590 les ligueurs viennent mettre le siège devant le château. La mort de Trogoff, jeune sergent qui commandait la garnison entraîne la reddition et le pillage de la forteresse. L’horloge du château, la meilleure de Bretagne, fut démontée et emportée à Concarneau où elle orna la porte de la ville close. Pendant ce temps, Beaumanoir blessé à la bataille d’Ancenis, succombait laissant la baronnie à sa fille.

Pont l’Abbé du siècle de Louis XIV au siècle des Lumières

Les 17 et 18èmes voient la ville s’embellir. Les gentilshommes du pays y font construire leurs hôtels urbains. Certains existent encore. Ainsi au 13 de la rue Jean Jacques Rousseau s’élève l’hôtel des Drouallen, sires de Kérazan qui exercèrent à plusieurs reprises les fonctions de sénéchal du baron. Au 13 rue du Général de Gaulle on peut voir l’hôtel que les seigneurs de Kergos bâtirent en 1652 etc…

Après la mort de Beaumanoir, la baronnie échoit aux Richelieu ; mais désormais le baron ne fait plus que de rares apparitions dans son lointain fief.

En 1633 Pont l’Abbé est ravagée par une meurtrière épidémie de peste. Les Carmes organisent un pèlerinage de plusieurs centaines de personnes à Sainte Anne d’Auray, trois jours après, l’épidémie décroît puis disparaît. En remerciement un curieux retable de calcaire et de marbre est édifié dans une chapelle latérale de l’église où on peut toujours l’admirer.

C’est Jean de Vignerot du Plessis de Richelieu qui est baron quand, à l’été 1675, éclate la révolte des Bonnets Rouges. A l’origine il s’agit d’une révolte antifiscale qui prend naissance dans les villes bretonnes comme Rennes : la révolte du papier timbré unit les bretons contre une nouvelle taxe imposée par Louis XIV en violation des « libertés et privilèges » de la Bretagne. Dans les campagnes de Basse Bretagne, en particulier autour de Briec, Carhaix et Pont l’Abbé, le mouvement prit la forme d’un soulèvement populaire, paysan et antinobiliaire.

Le 24 juin 1675 une foule de paysans de Combrit grossie par le petit peuple de Lambour submerge Pont L’Abbé. Les agents du baron sont molestés ; le feu est mis au château ; le couvent des Carmes est envahi et les religieux doivent renoncer à de nombreux droits féodaux. Onze paroisses du Cap Caval se soulevèrent. Mais, dès le mois d’août les troupes du duc de Chaulnes, gouverneur de Bretagne exercent une rude répression. Les chefs des insurgés sont exécutés place du Marc’hallac’h (aujourd’hui Place Gambetta face à l’Office de Tourisme) et, en représailles, les clochers de 7 paroisses révoltées sont abattus dont celui de Lambour.

En 1685 le marquis de Richelieu vend la Baronnie et le château incendié à François Joseph d’Ernothon, conseiller au Parlement de Paris. Ce noble de robe est issu d’une famille de négociants malouins. Le nouveau baron relève le château et reconstruit le corps du logis principal dans le style du 18ème siècle.

En 1753 la Baronnie change à nouveau de mains. Elle est achetée par une famille anoblie issue de la grande bourgeoisie des armateurs : Les De Baude.
Avec ses négociants et ses hommes de loi, la bourgeoisie de la ville est plutôt cultivée et assez bien renseignée sur le mouvement des idées au Siècle des Lumières.

En 1766 dans la chapelle du château, la fille du procureur fiscal Annetic Royou épouse son illustre cousin Elie Freron, fondateur de la revue « l’année littéraire » et redoutable adversaire de Voltaire qui écrivit contre lui un méchant pamphlet :

« Un beau jour au creux d’un vallon
Un serpent mordit Jean Fréron
Que croyez-vous qu’il se passât ?
Ce fût le serpent qui crevât »

La révolution à Pont l’Abbé et ses conséquences

La première conséquence de la Révolution sur la petite ville est administrative. Curieusement en effet cette cité active n’avait pas d’existence juridique : son territoire était divisé en plusieurs paroisses :

Le quartier du château appartenait à Loctudy, celui de la place du Marc’hallac’h à Plobannalec et, de l’autre côté du pont, Lambour était une trêve de Combrit. Ces territoires sont désormais regroupés pour former une commune et une paroisse.

La première municipalité élue en 1790 était très modérée. Le maire était l’avocat Arnoult dont la famille allait jouer un rôle durant tout le 19ème siècle et donner un député au pays.

En 1793 une municipalité « plus populaire » s’inscrit dans une ligne clairement révolutionnaire. Dans le cadre de la campagne de déchristianisation, la ville est rebaptisée « Pont-libre » et l’église des Carmes est transformée en « temple de la raison ». Pendant la Terreur, plusieurs personnes sont internées au château comme Madame De Pompery, la « Sévigné bretonne » qui avait quitté l’agitation quimperoise pour se réfugier ici dans sa ferme du Sequer. La chute de Robespierre connue à Pont L’Abbé le 21 Thermidor (8 août 1794) entraîne un retour des modérés. Le riche négociant Gilles Férec devient maire et le Comité de surveillance est supprimé.

Une conséquence importante et durable de cette période est la vente des biens nationaux appartenant au clergé et aux émigrés. Elle va modifier le cours des fortunes. Le Baron Claude De Baude de Saint Père qui était un des gentilshommes présents aux côtés du roi aux Tuileries en 1792, émigre à Lisbonne dès la chute de la monarchie. Le château est vendu au Quimpérois Le Déan. Le négociant Gilles Férec se rend propriétaire du couvent des Carmes tandis que, sur la route de Loctudy, le Manoir de Kérazan passe aux mains de l’ingénieur Derrien etc…

Les différentes chapelles de la ville sont achetées par des bourgeois qui les démolissent pour vendre les pierres et disposer de terrains constructibles.
Le Château est lui-même démoli ; ses pierres sont réutilisées pour les quais.

En 1836, la municipalité rachète ce qui reste de la forteresse : le corps de logis du 18ème siècle, le donjon privé de ses mâchicoulis et une tour tronquée. Le couvent est vendu à la ville en 1879 pour construire une école. Le beau cloître gothique est démonté et abandonné avant d’être racheté par l’Evêque de Quimper qui le fait installer au sein du grand séminaire, actuel lycée Chaptal. Aujourd’hui, l’historien local, Serge Duigou, réclame la restitution de ce patrimoine de Pont L’Abbé.

La ville contemporaine aux XIX et XXe siècles

Le 19ème siècle est une période globalement faste pour l’économie locale. La ville connaît une certaine prospérité liée au commerce des produits agricoles abondamment fournis par l’agriculture dans « un pays de promission » selon le mot célèbre du voyageur Jacques Cambry.

La principale culture qu’exporte le port de Pont l’Abbé c’est la pomme de terre. La culture de ce tubercule doit beaucoup à Edouard Lenormant des Varannes, gendre de Louis Derrien, et propriétaire de Kérazan. Après avoir créé une féculerie sur son domaine, il en installe une seconde à Pont L’Abbé en 1840. Cette dernière est transformée par le négociant Hyacinthe Le Bleis en usine chimique en 1852.

Dès 1848, le même Hyacinthe Le Bleis avait acheté les deux moulins à marée du pont pour les transformer en une imposante minoterie industrielle de 5 étages.  Détruite par un incendie en 1906 elle fut reconstruite par René Le Minor mais avec 3 étages seulement.

Pour faciliter la remontée de la rivière par les voiliers on entreprend entre 1850 et 1902 la construction d’un chemin de halage. Ce halage servit peu car bientôt les navires à vapeur remplacèrent les voiliers. Les tonnages augmentant, la remontée de la rivière envasée devint difficile. Progressivement le port de Loctudy supplante celui de Pont l’Abbé. C’est alors qu’Armand du Chatellier, maire de 1875 à 1877 engagea, avec le soutien du Conseiller Général Arnoult, un rude combat pour amener le chemin de fer dans la capitale de ce territoire qu’on appelle désormais le Pays Bigouden.

En 1884 le train arrive enfin à Pont l’Abbé et avec lui les premiers touristes qui logent au « Lion d’Or » ou continuent en calèche jusqu’à Loctudy. Mais avant même l’arrivée du train, Pont l’Abbé avait déjà reçu la visite de peintres et d’écrivains attirés par « un pays d’une sauvagerie inquiétante » (Zola) Le mouvement allait se poursuivre encore longtemps : Maupassant, Flaubert, Zola, André Chevrillon, Suarez etc… Maupassant enthousiaste célèbre la plus « bretonne des villes de toute cette Bretagne bretonnante », tandis que Flaubert dubitatif ne voit qu’une « petite ville fort paisible » bordée d’un étang triste où se mirent « les restes insignifiants du château ».

La création d’une gare amène le développement d’un quartier industriel à proximité, des voies de chemin de fer : confiseries, (les Filets Bleus), conserveries, minoteries font de la capitale bigoudène une cité ouvrière. Pont l’Abbé est également la capitale de la broderie avec plusieurs centaines de tailleurs, de brodeurs et de brodeuses. On brode ici les somptueux costumes des hommes et des femmes mais aussi les coiffes, les napperons et autres articles en dentelle.

En 1902 quand la crise sardinière plonge le pays bigouden dans la misère, le développement de la dentelle au point d’Irlande (le picot) permet à de nombreuses familles de survivre. Avec la « Maison Pichavant » Pont l’Abbé est au cœur du commerce de la dentelle. Au 20ème siècle « la maison Le Minor » prend le relais avec ses poupées de terroir, ses services de table, tapisseries et bannières de procession.

La ville s’est considérablement transformée grâce à la prospérité du 19ème siècle : extension des quais du port, développement de belles rues bordées d’immeubles bourgeois aux vastes fenêtres, construction des Halles au fond de la place de la Madeleine (aujourd’hui Place de la République). A côté de ces immeubles bourgeois, nous trouvons à Lambour, voie romaine ou au Rozic, une population modeste qui vit dans de petites maisons surpeuplées. Nombre d’entre elles existent encore et ont souvent été fort bien restaurées. Ce petit peuple de Pont l’Abbé, pauvre, humble et fier, a été amoureusement décrit par Youenn Drezen dans ses romans écrits en français et en breton (« Intron varia Garmes », « l’école du renard » etc…)

Conclusion

Pont l’Abbé est aujourd’hui une petite ville de 8 500 habitants. Elle n’est plus la ville ouvrière qu’elle fut mais reste la capitale commerciale, administrative et scolaire du Pays Bigouden. Ce territoire correspond à l’ensemble des paroisses où l’on portait jadis la coiffe emblématique et les costumes aux riches broderies jaune et orange. Le « Fête des Brodeuses » perpétue tous les mois de juillet cet héritage vivant. Ce pays dynamique et moderne reste fier de ses traditions, de sa coiffe, de son passé. Il construit l’avenir dans la fidélité. « Heb Ken », sans varier, nous restons ce que nous sommes, ni plus ni moins.

André Paubert, Agrégé d’Histoire et adjoint au maire honoraire
Laurent Paubert, Docteur en Histoire et médiateur du patrimoine